Félix Simtaine : puissance et passion

Le batteur fête ses 60 ans avec Act Big Band au 8ème "Jazz à Liège"

Simtaine. Le nom sonne en lui-même comme une frappe sur la cymbale suivie d'une autre sur la caisse claire. Soixante ans, 46 ans de jazz et ce n'est pas tout. Le swing, la stature rassurante de Félix Simtaine traversent les époques, les générations, les nouvelles vagues, il a joué avec tout ce que le jazz a compté de musiciens plus ou moins importants, accompagné de grands artistes américains de passage… Assister à l'un de ses concerts n'a pourtant rien d'un acte de dévotion au passé. C'est la forte probabilité de bien-faisantes doses de musique chaude et sans frime.

Demandez-lui ses meilleurs souvenirs de musicien, il ne remontera pas à René Thomas ou à Chet Baker, mais au concert à l'Espace Senghor avec Eric Legnini, Joe Lovano et Philippe Aerts. Le jazz d'aujourd'hui, en plein.

ENTRE DEUX CHAISES

Félix Simtaine naît en 1938 dans une famille verviétoise proche des milieux artistiques. Sa mère est chanteuse d'opéra et d'opérette, son père gère un cirque couvert. La salle sera ensuite reconvertie en cinéma et en cabaret. Le jeune Félix découvre le jazz par hasard.

Un jour où je m'enquiquinais pendant les vacances, mon père, pour m'occuper, m'a envoyé au magasin, chercher les disques pour passer à l'entracte. En les rapportant, je suis tombé sur le technicien dans la cabine de projection qui écoutait le quartet de Gerry Mulligan avec Bob Brookmeyer au trombone. Et voilà. J'ai voulu jouer du trombone.

Après deux heures au cours desquelles il a vainement tenté d'extraire un son du trombone qu'il s'est procuré, il le rapporte au magasin, estimant que l'instrument qu'on lui a confié ne fonctionne pas. Le marchand compréhensif lui propose alors des baguettes peut-être mieux adaptées à son tempérament. J'ai commencé à les utiliser sur du papier d'emballage que je punaisais sur les belles chaises cannelées de ma grand-mère. Le cannelage vibrait comme une caisse claire. Je jouais en accompagnant la radio…
Après vient la vraie batterie. En dehors des heures de séances… Je la montais sur la grande scène du cinéma. Je passais les disques sur la sono de la salle à plein volume et je les accompagnais en m'imaginant en train de jouer avec Basie et Ellington…

Qu'il s'agisse de jazz, des batteries dont il collectionne les modèles anciens, des trains, miniatures ou non, ou de l'Amérique des stars de cinéma, des Montagnes rocheuses ou des grandes villes avec les premiers buildings, tout ce qui intéresse ce vivant émérite semble passion.
Je filais du collège à quatre heures avec Robert Jeanne, on prenait le train en stoemelinks, on allait à Paris écouter un set de Bobby Jaspar et on rentrait dans la nuit.
Au moment où il commence à jouer avec ses copains ou dans les thés dansants des facultés universitaires, l'idée d'une carrière de jazzman ne lui vient pas. Il ne passera professionnel qu'en 1969. Avant ça, j'étais un amateur "bien entraîné" comme disait René Thomas. Le terme professionnel ne revêt alors pas le même sens qu'aujourd'hui. Devenir professionnel, ce n'était pas du tout une question de tartines, ni de statut. C'était avoir la possibilité de jouer tous les jours et de ne faire que ça.
Avant cela, ses parents espéraient tout de même le voir reprendre sérieusement l'exploitation cinématographique. J'aime encore le cinéma, mais comme spectateur. J'y vais pour m'amuser. Pas pour en sortir torturé.
Entre-temps, le batteur se sera imposé comme un accompagnateur sûr au fil d'innombrables concerts donnés entre autres avec des grands artistes américains de passage. Jouer auprès de Slide Hampton, Charlie Rousse ou Pepper Adams est une expérience que beaucoup de jeune envie au batteur. Qu'est-ce qui fait la grandeur d'un musicien et que délivrent-ils à ceux qui jouent avec eux ?
Avec eux, tout semble tellement "easy". Mais en général les Américains sont plus désinvoltes et se posent beaucoup moins de questions que les Européens. Moi, je me pose des questions tous les jours. Je ne devrai pas… Quand j'écoute le journal parlé ici, ça me fait peur. Alors j'écoute la BRT parce que là je n'y comprends rien.

POUR LE PLAISIR

Je suis né à une époque où le jazz était une musique amusante. De même : J'essaye de jouer avec des gens marrants, sinon je déprime. Musicalement cette vision des choses implique que les rêveries du cool, le free, les escapades vers la musique contemporaine. Bref, la musique cérébrale m'emmerde.

D'où par exemple sa séparation avec Octurn - groupe qu'il affectionnait et dont il a été le batteur originel - quand l'énergie et le swing des débuts ont été délaissés au profit d'un art plus recherché. Ce musicien du cœur plutôt que de l'esprit restera donc à certaines tendances de la musique bleue. A contrario son drive musclé combiné à sa présence scénique naturelle procurent beaucoup de confiance à ceux qu'il accompagne.

J'aime jouer avec une grosse batterie (dotée d'une très grosse caisse) plutôt qu'avec des tas de petits machins. C'est un style, mais je mets les gens à l'aise.

Autre facteur rassurant, un optimisme indéfectible. Dans différentes situations, je parie que "Ca doit marcher". Récemment, j'avais des difficultés à rassembler l'Act pour la répétition. Il n'y avait qu'une date possible. J'ai d'abord pensé, c'est la "cata". Puis je me suis dis que ces musiciens étaient suffisamment chevronnés pour que ça tourne rond sur scène. Et entre-temps tout est rentré dans l'ordre. Tout le monde a donné son accord pour la répétition.
Même derrière mes tambours, je prends souvent des risques en me disant "ça doit marcher".

Au fond, cette conjugaison de force, de rythmique et de décontraction ne convient-elle pas à merveille au principe même de l'improvisation.

ANDRE JOASSIN

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L'ACT, LE RÊVE DEVENU REALITE

Félix SIMTAINE aura fêté ses soixante ans en deux temps : en sextet à géométrie variable au Festival des Lundis d'Hortenses, puis avec l'Act Big Band lors du prochain "Jazz à liège". La création de ce grand orchestre en 1979 concrétisait un rêve un peu fou : réunir (sous la direction musicale de Michel Herr) l'élite du jazz belge (…et autre) au sein d'un ensemble affranchi du style codifié des "Big band" traditionnels, mais qui en mettrait la puissance et le swing au service d'un art plus actuel.

Steve Houben, Jacques Pelser, Phil Abraham, Guy Cabay, Erwin Vann, Jean-Pierre Catoul, les Américains Joe Lovano, Bill Frisell… la liste de ce personnel étoilé mouvant serait trop longue. Samedi, à Liège, on y trouvera John Ruocco, Kurt van Herck, Fabrice Aleman, Richard Rousselet, Jean-Louis Rassinfosse…

Devenu réalité, l'orchestre est resté à la hauteur de l'ambition. Mais organiser l'activité collective d'une quinzaine de musiciens professionnels, souvent leaders de leur propre groupe, pose d'évidents problèmes. Sans le secours d'aides officielles comparables à l'ONJ en France, Act fonctionne de manière un peu irrégulière. Raison de plus pour savourer les occasions d'écouter cette impressionnante machine, rodée et efficace, devenue au fil du temps une institution et un pivot du jazz belge.

A.j.