La Libre Belgique
- Septembre 1981
Act
Big Band : du jazz belge important jalon de l'évolution
Tous les amateurs
de jazz l'avoueront : ils éprouvaient un peu la nostalgie
des grands orchestres de jadis, vous savez bien, ces formations
spectaculairement déployées à la Ellington,
à la Tommy Dorsey, à la Count Basie, à la
Fletcher Henderson ou, plus près de nous, à la Gil
Evans. Elles étaient gouvernées par un solide meneur,
soucieux de "faire chauffer" la "machine", tout en sachant mettre
en valeur les différentes sections (cuivre, saxos
)
et tout en permettant aux meilleurs instrumentistes de s'exprimer
en solo.
Pas facile
de redonner vie et lustre en ce genre de "big band", surtout dans
le contexte actuel : il faut des hommes, des musiciens de classe
qui soient disponibles, s'entendent harmonieusement, s'épaulent
mutuellement. On ne les trouve pas toujours sous une clef de sol
Les Belges seraient-ils les plus avides et les plus aptes à
reprendre le flambeau en ce domaine ? On n'a pas oublié
le succès obtenu, durablement aux Etats-Unis, par la formation
de notre Francy Boland. Et l'on n'ignore pas, sur un plan sensiblement
plus modeste, mais chaleureux, l'accueil qui est fait à
une équipe du Hainaut spécialisée dans le
répertoire allant du New Orléans à Glenn
Miller.
Mais voici
maintenant l' "Act Big Band", né d'un vieux souhait du
batteur Félix Simtaine. Nous venons de l'entendre en concert
public au "Théâtre 140", qui produisait le spectacle
en collaboration avec l'association baptisée "Les Lundis
d'Hortenses" (L.D.H., pour la facilité). Ladite soirée
est certainement à marquer d'une pierre blanche : elle
fit un peu figure d'événement dans l'évolution
du jazz en Belgique.
Tudieu ! Comme
tout a brillamment fonctionné ! Les craintes de seulement
une banale resucée d'antiques formules (ce qui est le cas,
si l'on veut, du "grand orchestre du Splendid", à la remorque
de Jacques Hélian, mais dont Paris, selon son habitude,
a fait les gorges chaudes) se sont rapidement volatilisées.
On fut conquis dés les premières mesures
Certes, les
apparences formelles extérieures des grands orchestres
patentés ont été respectées : quatre
trompettes (bouchées ou non) se lèvent ensemble,
comme un seul homme. Simtaine, à la batterie, lance et
soutient tous les tempos comme l'eût fait un Buddy Rich,
les trombones ou le vibraphoniste (Guy Cabay, dans un rôle
différent de celui de ses interprétations latino-américaines
transposées en patois liégeois) ont leur mot à
dire quand il le faut. On pense "riffs" et "chorus". Mais des
différences essentielles, et indispensables, confèrent
à l' "Act Big Band" sa propre singularité.
Là
où le Duke ou le Count - dont la réputation était
suffisamment "confortable" - se contentaient de plaquer quelques
introductions géniales au clavier, d'une main si experte
qu'elle en paraissait presque négligente, Michel Herr,
l'autre "tête pensante" du groupe, se comporte en pianiste
et "conductor" aussi fécond qu'efficient. C'est à
lui que l'on doit les arrangements proposés, si fouillés.
Là
où le jazz empruntait des cadences éprouvées,
une greffe moderniste est intervenue. Simtaine, Herr and Co ne
"carburent" pas seulement au quart de tour, ils développent
une musique aux équations plus complexes, toujours alignée
sur le swing, certes, mais également sur les pulsions tout
à fait contemporaines du free jazz, de la dissonance, comme
sur certaines colorations exotiques et baroques, entretenues par
l'arsenal des ressources électro-acoustiques.
À sa
manière, on serait tenté de dire que "Act Big Band"
donne même une leçon extra musicale. Avec Jean-Louis
Rassinfosse, Steve Houben, Robert Jeanne, Johan Vandendriessche,
Nicolas Fissette, Bert Joris, André Knappen, Pierre Vaiana,
Alains Devis (17 hommes au total), tous ridicules concepts "linguistiques"
tombent. C'est une formation belge qui se produit défendant
avec bonheur une musique internationale. À ce titre, et
bénéficiant de la qualité qui est la sienne,
elle mériterait un sérieux soutien si ceux qui nous
gouvernent étaient plus préoccupés d'une
politique de prestige que de mesquines ambitions. De grâce,
pourvu que l'expérience d' "Act Big Band" vive un peu plus
que quelques saisons et que les pupitres ne se démantibulent
pas trop à la suite d'un manque de foi
Le calendrier
qui attend l'équipe la mènera, après Bruxelles,
à Liège, tandis qu'une partie de la formation pourrait
faire une escapade au Katanga, nous a-t-on dit
Toutefois,
qui n'aurait pas l'occasion d'entendre "Act Big Band" en concert,
peut toujours savourer "Bad Fever", "I remenber Barney", "For
Peanuts" et quelques autres compositions, à l'écoute
d'un album 33 t. sorti des presses de LDH
Mais, comme un
bonheur ne vient jamais seul, la première partie de la
soirée du "140" valut également au public de belles
satisfactions. Elle servit aussi de rampe de lancement à
deux autres basées dans notre pays. D'une part, le quintet
"Sava" (Charles Loos, au piano, Serge Lazarevitch, à la
guitare électrique, J.L. Rassinfosse, à la basse,
Simtaine aux drums, et John Ruocco, remplaçant Greg Badolato,
empêché, au sax). D'autre part, le trio de Paolo
Radoni, ce dernier étant escorté des Allemands Rudi
Schröeder à la basse et Ernst Bier aux drums. Deux
mini-concerts marqués au coin de l'invention. Chez Radoni,
particulièrement, les connivences et les synchronisations
firent impression, au fil de morceaux d'une velouté suave,
d'un charme prenant. Heureusement, "Sava" comme le trio Radoni
ont également un long-playing enregistré et diffusé
par les soins de LDH. Avis aux amateurs : "Blue Funk" par exemple,
est un petit bijou
Jean
PIGEON
|